Auto-écoles : vers la fin des plateformes numériques ?

Reglementation

La récente fermeture administrative de l’auto-école en ligne Le Permis Libre relance la question de la viabilité économique de ces nouvelles plateformes numériques. Les écoles de conduite traditionnelles s’insurgent contre une uberisation du secteur, synonyme de précarité des moniteurs et d’insécurité pour les apprentis conducteurs.

Trois mois de fermeture. À partir du 9 mai, l’auto-école en ligne LePermisLibre devra fermer ses portes, en application d’une décision du préfet du Rhône, qui a annoncé « suspendre l’activité de l’auto-école ‘‘LePermisLibre’’ pour lui permettre de se remettre en conformité avec la réglementation en vigueur ». En cause, « de nombreuses infractions au Code du travail », relevées à la suite d’investigations et de contrôles menés par les services de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation et de l’emploi.

Les infractions constatées portent notamment sur le statut de la cinquantaine d’enseignants de l’entreprise, « qui auraient dû être déclarés comme salariés et non sous un (…) statut (…) d’autoentrepreneur ». Une pratique très répandue chez ces nouvelles plateformes numériques, et qui exaspère les professionnels du secteur, en lutte ouverte contre ce qu’ils qualifient « d’uberisation » de leur métier.

Un conflit loin d’être terminé

Cette nouvelle péripétie intervient dans un contexte particulièrement tendu. Les deux principaux syndicats représentant les auto-écoles « traditionnelles », le CNPA et l’UNIDEC, avaient appelé à une manifestation nationale, le 18 avril dernier. Une semaine avant, ils ont été reçus à Matignon afin d’alerter les autorités sur « les difficultés économiques sans précédent que rencontre (leur) secteur (et) d’alerter une nouvelle fois sur les concurrences déloyales pratiquées par ''certains opérateurs numériques'' ».

La détermination affichée par Matignon en matière de contrôles et de sanctions aura apparemment suffi à rassurer la profession ; pour le moment, du moins. Car les griefs de la profession sont nombreux et fondés. Depuis quatre ans, les auto-écoles en ligne bouleversent un secteur longtemps monopolistique, en proposant des formules à prix cassés. Si le succès commercial est au rendez-vous, leur modèle économique pose question.

Beaucoup de ces nouveaux arrivants ne sont, en réalité, que des plateformes de mise en relation entre les apprentis conducteurs et des moniteurs indépendants. C’est le cas, emblématique, d’Ornikar : fondée en 2013 par Benjamin Gaignault, Ornikar ne travaille qu’avec des autoentrepreneurs, qui paient eux-mêmes leurs charges, contrairement aux auto-écoles traditionnelles. Une distorsion de concurrence inacceptable pour Philippe Colombani, le médiatique président de l’Union nationale des indépendants de la conduite (UNIC), selon qui ces plateformes ne proposent « pas des moniteurs, mais des loueurs de voitures double commande. On prend les gens pour des idiots ».

Les élèves en première ligne

Philippe Colombani sait de quoi il parle. En avril 2017, quelque 10 000 « idiots », clients de la start-up lyonnaise PermiGo, l’une des premières auto-écoles en ligne françaises, ont bien failli perdre tout l’argent qu’ils avaient investi. Placée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Lyon, l’entreprise a déposé le bilan. À cette époque, elle ne bénéficiait d’aucun « dispositif de garantie financière permettant, en cas de défaillance (…), le remboursement des sommes perçues en trop », comme cela était stipulé noir sur blanc dans ses CGV.

Si PermiGo a, finalement, trouvé un repreneur, le mécontentement des clients reste vif, certains d’entre eux s’étant vus demander une rallonge supplémentaire par l’entreprise afin d’obtenir leur permis. Sa consœur lyonnaise, Ornikar, ne fait pas mieux, elle qui affirme, à l’article 8 de ses propres CGV — toujours d’actualité — n’avoir pas souscrit de « garantie financière permettant le remboursement à l’élève des sommes trop perçues en cas de défaillance ». Seule Auto-école.net, qui travaille avec des moniteurs salariés et a, depuis ses débuts, souscrit une assurance en cas de faillite, trouve grâce aux yeux de Philippe Colombani : « c’est l’auto-école qui est le plus dans les clous », estime-t-il.

Quoi qu’il en soit, la décision de la préfecture du Rhône quant à la fermeture de « LePermisLibre » laisse planer une menace sur la viabilité de ces plateformes numériques. Elle ouvre un vide juridique qui pourrait mener à la fermeture d’autres écoles en ligne, au premier rang desquelles Ornikar, dont les fondateurs se targuent ouvertement de ne recourir qu’à des autoentrepreneurs — en violation de la circulaire interministérielle du 6 mai 2017 qui affirme un exploitant doit « disposer d’un pouvoir de contrôle et de direction à l’égard des enseignants attachés à son établissement ». La guerre entre auto-écoles traditionnelles et plateformes numériques ne fait que commencer, et ce sont les élèves de ces dernières qui pourraient en payer les pots cassés.