Auto-écoles : la guerre continue

Reglementation

Voilà maintenant quatre ans que les auto-écoles en ligne ont fait leur arrivé dans le secteur de l’apprentissage de la conduite. Depuis, les relations entre ces nouveaux arrivants et les écoles traditionnelles ne sont pas au beau fixe. L’auto-école en ligne Ornikar symbolise toute l’animosité qui règne dans le secteur. Retour sur un conflit qui ne semble pas vouloir prendre fin.

On les appelle « auto-écoles en ligne ». Pour certaines, comme Ornikar, il s’agit plutôt de plateformes de mise en relation entre des apprentis conducteurs et des moniteurs indépendants. Peu importe la dénomination : cette nouvelle concurrence existe bel et bien et il suffit de suivre l’actualité d’Ornikar pour s’en rendre compte. La société créée en 2013 par Benjamin Gaignault est en verve : la start-up vient de lever 10 millions d’euros auprès d’Idinvest Partners, Partech Ventures, Elaia Partners et Brighteye Ventures, dans le but de conquérir l’Europe.

Concurrents ou apporteurs d’affaires ?

Du côté des auto-écoles traditionnelles, l’arrivée de ces nouveaux acteurs a fait grincer de nombreuses dents, à commencer par celles de Philippe Colombani, le président de l’Union nationale des indépendants de la conduite (UNIC) qui mène la fronde dans les médias. Est-il envieux de ces nouveaux arrivants ? Contacté par L’Automobiliste, ce dernier assure que ce n’est pas le cas : « nous n’avons pas peur de la concurrence à partir du moment où nous travaillons tous avec les mêmes règles », explique celui qui tient à rappeler que les établissements traditionnels paient de nombreuses charges sociales sur leurs salariés, alors que les auto-écoles en ligne s’en dédouanent. Et pour cause : dans le cas d’Ornikar par exemple, les moniteurs sont obligatoirement des autoentrepreneurs, ils paient donc eux-mêmes leurs charges.

De son côté, Benjamin Gaignault, le CEO d’Ornikar, également contacté par nos soins, se défend de concurrencer illégalement les auto-écoles. Au contraire, ce dernier estime que « cette cohabitation est inévitable, car les plateformes comme Ornikar ne peuvent pas se passer des auto-écoles ni des enseignants de la conduite ». Le dirigeant de la start-up affirme qu’elle travaille déjà avec une quarantaine d’auto-écoles en France. « Elles nous voient non pas comme un concurrent, mais comme un apporteur d’affaires », dit-il, en soulignant que « les auto-écoles traditionnelles ne s’en sortent pas financièrement ». Et c’est une réalité : 15 auto-écoles ferment chaque mois en France et cela ne date pas de l’arrivée des nouveaux acteurs numériques.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi Macron en 2015, l’univers des auto-écoles est confronté à des problématiques analogues à celles vécues depuis quelque temps déjà par les hôteliers face aux plateformes type Airbnb. Sur le papier, les conditions proposées par ces dernières séduisent les clients qui recherchent les meilleurs prix. Pour Philippe Colombani, il n’y a pas de mystère : « Peut-être que si ça ne coûte pas cher, c’est qu’il y a un problème… » Cette interprétation fait écho à la terrible sortie de route vécue par PermiGo l’an dernier. La société lyonnaise — sœur jumelle d’Ornikar — a fait faillite du jour au lendemain et mis en péril les investissements de plus de 10 000 élèves. Bien sûr, Ornikar semble mieux armée financièrement, mais à l’instar de PermiGo, l’école de Benjamin Gaignault ne dispose d’aucune assurance destinée à prendre en charge ses élèves en cas de coup dur.

Des règles pas respectées ?

Cela fait maintenant quatre ans que la bataille entre les écoles traditionnelles et les plateformes numériques fait rage. Ornikar en est à son neuvième procès et cela ne devrait pas s’arrêter là. Aujourd’hui encore, une grande partie des 12 500 établissements traditionnels estime que les nouveaux acteurs sont dans l’illégalité. Leur argumentation repose sur une circulaire, diffusée le 6 mai 2017, à l’attention des préfets français, dans laquelle les ministères de l’Économie, du Travail et de l’Intérieur affirment que « le développement dans ce domaine [apprentissage de la conduite] de pratiques illégales, favorisées en particulier par les plateformes de mise en relation entre candidats et enseignants dits “indépendants”, doit appeler une réponse rigoureuse de la part des services de l’État concernés ».

Pour les différents ministères, deux raisons majeures justifient le terme de « pratiques illégales ». La première se situe au niveau de l’agrément préfectoral, indispensable aux auto-écoles si ces dernières souhaitent exercer leur activité. La circulaire laisse en effet supposer que la valeur de l’agrément est départementale et non pas nationale. Or, celui dont dispose Ornikar lui a été délivré par la Préfecture de Loire-Atlantique, mais la plateforme exerce dans toute la France. Ce qui explique pourquoi Benjamin Gaignault est dans le viseur des auto-écoles traditionnelles.

Deuxième raison : les plateformes mettent simplement en relation des moniteurs indépendants et des apprentis conducteurs. Or, dans le domaine de la formation et de l’enseignement, la circulaire rappelle qu’un exploitant doit « disposer d’un pouvoir de contrôle et de direction à l’égard des enseignants attachés à son établissement ». Pourtant Benjamin Gaignault assume pleinement son parti pris : « un moniteur qui travaille avec Ornikar dispose de son outil de travail — sa voiture — et travaille à sa convenance. C’est-à-dire qu’il choisit où il veut enseigner, quand il le veut, et il a la possibilité de refuser un élève », déclare-t-il. Autrement dit, les moniteurs avec lesquels travaille Ornikar sont indépendants, libres et autonomes de se constituer une clientèle personnelle. Un dernier point que la circulaire considère lui aussi comme « illégal ».

Par ailleurs, selon Philippe Colombani, les professionnels qui collaborent avec ce type de plateformes ne « sont pas des moniteurs, mais des loueurs de voitures double commande. On prend les gens pour des idiots… » Et de rajouter que le concurrent d’Ornikar, Auto-école.net, qui aborde un modèle hybride — l’école de conduite numérique ayant recours à des moniteurs salariés — « est l’auto-école en ligne qui est le plus dans les clous ».

Mais quoi qu’en disent les auto-écoles traditionnelles, Benjamin Gaignault affirme être « respectueux de la loi ». La hache de guerre est donc loin d’être enterrée. Le conflit pourrait même être ravivé dans les prochaines semaines : le secteur des auto-écoles est en effet dans le viseur du plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) qui fera l’objet d’une loi en mai 2018, et qui, selon certains, sera tout aussi révolutionnaire que la loi Macron…