Vitesse au volant : pouvoirs publics et associations font-ils fausse route ?

Reglementation

Fait inquiétant, la France a connu en 2015 une hausse de la mortalité routière pour la seconde année consécutive, après une année 2013 marquée par une diminution importante (-11 %) du nombre de tués sur les routes, faisant elle-même suite à une longue décennie de baisse. L’année 2016 risque de confirmer cette tendance, puisque le seul mois de septembre a enregistré une hausse de 30 % du nombre d’accidents mortels. Comment expliquer ces mauvais résultats ? Le gouvernement et certaines associations veulent y voir les effets d’une vitesse excessive au volant. Parmi elles, la Ligue contre la violence routière (LCVR), dont Chantal Perrichon, la présidente, n'a de cesse d'inviter les pouvoirs publics à davantage de fermeté envers ceux qui conduisent trop vite. Et si, pourtant, le problème était ailleurs ?


Conduire moins vite pour mourir moins vite, la bonne équation ?


En 2002, alors président de la République, Jacques Chirac décide de faire de la lutte contre l’insécurité routière une cause de mobilisation nationale. Le succès est au rendez-vous. En moins de 15 ans, le nombre de morts sur les routes est passé de plus de 7 000 en moyenne à 3 464 pour l’année 2015. Pour expliquer ces chiffres, certains mettent en avant des campagnes de sensibilisation efficaces, vantent les mérites de voitures et de routes plus sûres. D’autres préfèrent y voir les fruits d’une politique répressive ayant consisté à cribler les routes de France de radars, ceci afin d’inciter au respect des limites de vitesse. Une hypothèse bien entendu privilégiée par les pouvoirs publics et les divers organismes qu’ils financent, puisqu’elle légitime l’existence d’un dispositif juteux, ayant rapporté 789 millions d’euros à l’Etat en 2015.

Mais alors, comment expliquer la recrudescence des accidents mortels ces deux dernières années ? Dans son « Observatoire des vitesses », l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) « constate un changement de comportement des usagers, après 10 années de diminution des vitesses moyennes enregistrées sur nos routes, grâce à l’implantation des radars. La trop grande connaissance par les automobilistes de l’emplacement des dispositifs de contrôle a manifestement atténué leur efficacité. » On ne s’y prendrait pas autrement si l’on voulait, en creux, préparer le terrain à l’arrivée de nouveaux radars, notamment mobiles.

Pour Eric Leser, journaliste chez Slate, « quand [les causes de mortalité] sont difficiles à identifier, gendarmes et policiers mettent en cause de façon assez automatique la vitesse excessive. Il est difficile de démontrer le contraire et cela cadre parfaitement avec le discours des pouvoirs publics qui, pour justifier la multiplication des radars et la manne que cela représente, laissent entendre que la vitesse reste le facteur essentiel à l’origine des accidents. Ce qui est faux et depuis longtemps. C’est évidemment et mécaniquement un facteur aggravant sur les conséquences d’un accident, c’est de la physique de base, pas forcément la cause de la collision ou de la perte de contrôle du véhicule. »

N’en déplaise à Eric Leser, en France, la vitesse serait la cause principale de 26 % des accidents de la route mortels. C’est le chiffre établi par l’ONISR pour l’année 2014, sur la base des rapports rédigés par les forces de l’ordre qui, à l’instar de la gendarmerie de Dordogne sur sa page Facebook, invitent à lever le pied. Une antienne également reprise par certaines associations, dont la plus audible est peut-être la Ligue contre la violence routière (LCVR), présidée par Chantal Perrichon. Audible mais controversée.


Chantal Perrichon, porte-voix d’un faux problème ?


Une rapide recherche Google permet de se faire une idée de ce que défend Chantal Perrichon. Pour la présidente de la LCVR, un seul remède aux accidents mortels : la réduction de la vitesse autorisée sur les routes. En cela, le discours de la LCVR est en phase avec celui du gouvernement qui, on l’apprend sur un dossier de presse de l’association disponible en ligne, la subventionne via ses ministères des Transports et de la Justice. Pour le reste, les recettes du « groupe de pression (...) proviennent des cotisations et de dons ». Et combien sont-ils, ces cotisants et ces donateurs ? Impossible de le savoir, la transparence de la LCVR étant inexistante sur le sujet. Début 2014, ABC Moteur soupçonnait Chantal Perrichon de maquiller son manque de soutiens réels par des achats de "likes" bidons sur les pages Facebook liées à l’association. Les pages incriminées ont depuis mystérieusement disparu.

Peu soutenue, si ce n'est pas les pouvoirs publics, Chantal Perrichon est en revanche très décriée. Là encore, une simple recherche Google le montre. On ne compte plus le nombre d’internautes ayant, par billets de blogs interposés, tenté d’interpeller la passionaria de la non-vitesse au volant sur le manque de pertinence de son combat. C’est par exemple le cas d’André Chapman, qui s’interroge, agacé : « Pourquoi considérer la limitation de vitesse comme la panacée universelle, seule responsable de la baisse spectaculaire du nombre de tués sur les routes ? »

Pourquoi, en effet, sachant que la récente expérimentation d’une réduction de la vitesse à 70 km/h sur la rocade rennaise ne s’est pas avérée concluante, ni avant elle bien d’autres expérimentations du même genre ? Pollution plus importante, trafic moins fluide, « plus de zones de saturation et de congestion » selon le préfet d’Ille-et-Vilaine Christophe Mirmand et, surtout, nombre d’accidents en hausse ont renvoyé ce projet dans les cordes. A ce propos, Pierre Chasseray, délégué général de l'association 40 millions d’automobilistes, s’enthousiasmait : « On a désormais la preuve qu'une telle mesure n'est en aucun cas un gage d'amélioration des conditions de circulation. Bien au contraire, les conséquences de cette expérimentation sont majoritairement néfastes pour les usagers et l'on salue donc l'honnêteté des autorités qui ont su reconnaître leur erreur ».

Une honnêteté pas toujours de mise. On sait aujourd’hui que la vitesse est un sujet largement périphérique dans le débat routier. C’est, par exemple, sur les autoroutes (axes les plus rapides) qu’on compte le moins de victimes – 133 morts au total en 2013. L’association 40 millions d’automobilistes explique que «depuis 2012, les accidents mortels sur autoroute ne représentent plus que 6% du total des accidents, ce qui en fait le réseau le plus sûr de France. De plus, ces accidents ne sont dus que pour 13% d’entre eux à une vitesse inadaptée. Ce qui représente un peu plus d’une vingtaine de morts par an.» Pour Eric Leser, « les autoroutes françaises sont tout simplement les plus sûres d'Europe avec 5,4 morts par milliard de kilomètres parcourus ».

Dans les études portant sur l’Allemagne, pays au bilan routier bien plus positif que la France, il apparaît que la vitesse inadaptée est seulement la 8ème cause d'accident. Ces derniers sont plus directement liés aux infrastructures défaillantes (routes nationales vétustes, etc.), à l’alcool et aux drogues au volant, ou encore à l’assoupissement des conducteurs. On sait tout cela, mais les pouvoirs publics français et la LCVR continuent d’asséner leur « Objectif zéro accident » en misant presque tout sur la réduction de la vitesse au volant, faisant d’elle le principal garant d’une route plus sûre.

Une contre-vérité dangereuse, puisqu’elle monopolise les budgets de l’Etat dédiés à la lutte contre l’insécurité routière, au détriment de pistes de réflexion sans doute plus prometteuses, peu ou pas explorées. Quelles sont-elles, ces pistes ? Le dernier mot revient à Eric Leser dans Slate : « Pour réellement réduire les accidents, il faudrait une tolérance zéro pour l'alcool et la drogue au volant, une meilleure formation des conducteurs, l'interdiction totale du téléphone et autres facteurs de distraction du conducteur, l'amélioration de l'état du parc automobile avec notamment un contrôle technique des véhicules anciens comparable à ce qui se fait souvent ailleurs en Europe, l'amélioration du réseau routier secondaire, une répression impitoyable du million de conducteurs sans permis et sans assurance et une visite médicale obligatoire et régulière pour les conducteurs de plus de 60 ans. »