Auto-écoles : la crainte de l’«ubérisation» est-elle justifiée ?

Décryptages
C’est « une date clé pour l’avenir de [leur] profession ». Les syndicats d’auto-écoles CNPA-ER (Conseil National des Professions de l'Automobile - Education Routière) et Unidec (Union Nationale Intersyndicale Des Enseignants de la Conduite) ont manifesté ce mardi 18 avril dans plusieurs grandes villes du pays, comme Paris, Lyon, Toulouse, Nantes et Marseille. Ils s’opposent notamment à « la dématérialisation des dossiers d’inscription » des candidats. Cette évolution fait peser, selon eux, un risque d’« ubérisation de la sécurité routière ». Ils alertent notamment contre le danger de multiples fermetures au profit des auto-écoles en ligne. Mais cette vision des choses ne correspond pas (forcément) à la réalité…  

Le Plan Préfectures Nouvelle Génération est l’objet du courroux des auto-écoles traditionnelles. En test actuellement, ce nouveau plan donnera - dans le cas où celui-ci serait généralisé à toute la France - la possibilité pour les candidats de remplir à distance le formulaire d’inscription au permis (cerfa 02). Finis donc les déplacements en préfecture, à la Direction départementale des territoires (DDT) ou à la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM).

Cette mesure s’inscrit dans le cadre de la « modernisation des procédures administratives et de la fermeture des guichets dans les préfectures ». Elle devrait ainsi offrir un gain de temps aux auto-écoles et permettre de sécuriser leurs demandes, les informations ne devant plus être ressaisies.

Mais pour le CNPA-ER et l’Unidec, derrière l’objectif de simplification administrative « se cache un réel risque pour les écoles de conduite agréées ». Selon le CNPA, la dématérialisation des procédures va « à l’encontre des principes de l’éducation routière » car elle favorise l’apprentissage de la route via des plateformes de mise en relation entre particuliers.

Comme le déclarait au Journal du Centre Patrice Accard, président départemental et régional du CNPA, les représentants nationaux des syndicats d’auto-écoles souhaitent que les candidats au permis de conduire s’inscrivent soit en auto-école, soit en mairie, « de façon à ce qu’on leur attribue un numéro, pour garantir un enseignement de qualité ». Il fustige un système qui ne propose pas de suivi pédagogique et qui serait le responsable de la « crise sans précédent qui menace [leurs] entreprises et les emplois de [leurs] salariés ».

Risques de faillites en chaîne ?

Le CNPA-ER estime que la mise en œuvre de la dématérialisation du Cerfa 02 fera disparaître 70 % des écoles de conduite d’ici un an, ce qui ne fait qu’aggraver les craintes du secteur. Dans un courrier adressé au préfet de la Nièvre, Patrice Accard évoque de « nombreux établissements qui ont déjà commencé à procéder à des licenciements », comme le rapporte le Journal du Centre. De nombreuses auto-écoles sont confrontées à la baisse du nombre d’aspirants au permis, une conséquence directe de la crise économique. Et les responsables syndicaux évoquent en permanence les difficultés liées à un seuil de rentabilité très bas ainsi qu’au nombre insuffisant d’inspecteurs du permis de conduire. D'autres mettent en cause le modèle des auto-écoles en ligne, qui porteraient une part de responsabilité dans les difficultés que connaissent les écoles traditionnelles.

Les auto-écoles en ligne, dans le viseur. À tort…

Selon le journal La Croix, l’année 2016 a été mauvaise pour les auto-écoles traditionnelles, « avec des pertes d’emplois de l’ordre de 20 %. » En ce début d’année, trois auto-écoles ont par exemple définitivement fermé leurs portes : c’est le cas des auto-écoles ECJ basées dans le nord, à Marpent, Maubeuge et Cousolre. Le 16 janvier, le Tribunal de commerce de Valenciennes a prononcé la liquidation judiciaire. Selon la Voix du Nord, 1 200 élèves ont dû trouver une nouvelle auto-école pour terminer leur formation, tandis que la secrétaire et les cinq moniteurs employés par la société se sont retrouvés sans emploi du jour au lendemain. Le gérant de l’auto-école ne met aucunement en cause les auto-écoles en ligne mais… « l’énormité des charges et une accumulation de plusieurs facteurs ».

Les causes sont aussi à chercher ailleurs que dans le numérique pour expliquer le sort de PermiGo. L’entreprise, qui a développé un modèle hybride (entre numérique et système classique) a déposé le bilan le 6 avril dernier. Le Tribunal de commerce de Lyon a placé l’entreprise en redressement judiciaire et lui a donné trois semaines pour trouver un éventuel repreneur. Plusieurs raisons peuvent expliquer l’échec, notamment un forfait (799€) trop bas pour couvrir tous les besoins de l’entreprise. D’autant plus que PermiGo emploie de nombreux salariés (une soixantaine de moniteurs salariés et une trentaine d’employés) tout en étant propriétaire de 15 sites « en dur », qui lui coûtent environ 50 000 euros de taxes foncières par an. Or, d’autres auto-écoles, qui ont adopté ce même modèle hybride, s’en sortent très bien, à l’image d'auto-ecole.net, qui a su lever plus de 3 millions d'euros de fonds en 2015 pour développer son modèle en France.

De même dans d’autres secteurs, comme la livraison de plats à domicile, certaines entreprises réussissent (Deliveroo) et d’autres pas (Take It Easy). Autrement dit, la gestion, la cohérence du projet, la rentabilité et autres facteurs bien connus des entrepreneurs, semblent en fin de compte être plus pertinents pour analyser la réussite ou l’échec d’une entreprise que la seule opposition entre sociétés classiques et sociétés en ligne. Voilà qui devrait faire réfléchir les Cassandre qui annoncent la fin des auto-écoles traditionnelles.