Les auto-écoles en ligne se croient-elles tout permis ?

Décryptages
L'ubérisation de l'économie n’échappe plus à aucun secteur d’activité en France, y compris désormais à celui des auto-écoles. Certaines d’entre-elles choisissent toutefois de conserver un pied dans le monde physique. Un choix rassurant, à en juger par les dérives dont se rendent souvent coupables les structures ayant opté pour le « tout numérique ».

Les atouts d'une libéralisation du secteur

On garde tous un souvenir (plus ou moins bon) de son passage en auto-école. Le précieux sésame demeure certes un atout mais est encore loin d’être accessible à tout le monde. De plus en plus de jeunes renoncent même à passer le permis, et les raisons ne manquent pas : le coût de la formation (1110 euros en moyenne), des délais excessivement longs (95 jours d’attente environ pour obtenir une place d’examen), des taux d’échecs supérieurs à la moyenne européenne… Il y a urgence : dans un pays comme la France où officiellement 500 000 jeunes de moins de 25 ans sont au chômage, la détention d’un permis de conduire peut constituer un critère déterminant pour obtenir un premier contrat de travail. Par conséquent, l’auto-école en ligne apparaît pour certains comme LA solution miracle. En particulier, les prix cassés et le système de flexibilité proposés attirent de plus en plus de candidats.

Plusieurs auto-écoles en ligne se sont déjà engouffrées dans la brèche, à l’instar d'En voiture Simone et d’Ornikar qui ont choisi le « 100% numérique ». Une prise de risques dans un environnement où les auto-écoles classiques sont encore largement majoritaires. D’autres auto-écoles en ligne sont plus prudentes et privilégient un système hybride. C’est le cas par exemple de Permigo, plus proche d'une auto-école traditionnelle, qui est présente à travers des agences physiques. Elle dispose en outre d'agréments préfectoraux dans 14 villes. De même, Auto-école.net a opté pour un modèle de développement basé sur le numérique, tout en gardant un contact humain et réel avec le professeur, qu'elle a elle-même préalablement choisi. Les horaires, plus souples, sont convenus entre l'élève et le moniteur via une plateforme en ligne mise à leur disposition. Le moniteur est un salarié de l'auto-école et peut venir à une adresse précise pour commencer sa leçon dont tous les détails sont accessibles en ligne.

Cette semi-numérisation permet de rendre le système plus flexible. Ainsi, il n’y a plus d’obligation par exemple pour l’élève de se rendre à l’auto-école pour préparer les tests du code de la route. Désormais, les cours sont organisés de manière à ce que l’apprentissage se fasse dans les meilleures conditions depuis chez-soi. Il suffit pour cela de disposer d’un simple ordinateur et d’un compte utilisateur. Les gains de temps et de confort sont précieux. Un modèle qui pour l’instant fonctionne, puisque malgré des prix inférieurs de 40 % à ceux du marché, l'entreprise parvient à dégager des bénéfices.

L’ubérisation à tout prix ?

A contrario, l’ubérisation sans frein comporte des limites. Si le tout numérique présente des avantages certains en terme d’organisations pour l’élève et l’entreprise, il n’en demeure pas moins que les auto-écoles en ligne ne peuvent pas passer outre les règles de droit qui régissent le secteur de l'apprentissage de la conduite. La tendance à l’ubérisation ne doit donc pas laisser croire que tout est permis. En franchissant la ligne jaune, certaines auto-écoles insécurisent le parcours de la formation. En juin 2016, la Start up En Voiture Simone a été condamnée à arrêter l'enseignement de la conduite en dehors de Paris ; elle ne possédait pas d’agrément pour sortir des limites de la capitale.

Ce modèle d'auto-école en ligne est remis en question par certains syndicats, notamment le responsable de l'Union nationale des indépendants de la conduite (Unic), Philippe Colombani, pour qui le système des moniteurs indépendants, sur lequel s'appuie En Voiture Simone, représente "la paupérisation de toute une profession". Bruno Garancher, président de l'Ecole de conduite française (ECF) renchérit: "On transforme des salariés en travailleurs indépendants, en faisant peser sur eux les charges et le risque entrepreneurial".

En France, le taux d’obtention du permis B chez les 18-29 ans a baissé de trois points entre 1992 et 2012. Une tendance de fond que les auto-écoles en ligne tentent de corriger, en proposant notamment des prix abordables et un assouplissement des conditions de passages du code. Pour autant, ce nouveau modèle, basé sur le numérique, ne doit pas se développer en dehors d’un cadre réglementaire, sans lequel aucun secteur économique ne peut se développer sereinement.